Bonjour les chatons !
On se retrouve en ce début de juillet pour la critique du Défi Bibli #5 du mois de juin, spécial Seconde Guerre Mondiale. Vous aviez été une majorité à voter pour Anne Frank et son Journal.
À la bibliothèque municipale de ma ville, j'ai emprunté l'édition de Calmann-Lévy de 1989, la version définitive du fameux Journal, une édition augmentée avec des annotations d'Anne Frank elle-même qui avait retravaillé certains passages de son texte.
Pour resituer un peu la situation pour celles et ceux qui n'auraient pas lu ce livre ou ne connaissent pas très bien l'histoire d'Anne Frank, cette dernière était une jeune fille juive de parents allemands vivant à Amsterdam. Avec la montée d'Adolf Hitler au pouvoir, la famille Frank est forcée en juillet 1942 de s'abriter dans une cachette aménagée par plusieurs de leurs amis et qu'ils appelleront l'Annexe. Un couple et leurs fils adolescent les rejoindront très vite, suivis par un autre homme non marié et sans enfant. C'est au total huit personnes qui cohabiteront pendant deux ans dans cette cachette avant d'être arrêtés (certainement sur dénonciation) et envoyés dans différents camps de concentration.
D'entrée de jeu, je dois vous dire qu'après avoir découvert à l'adolescence l'existence de ce Journal mais sans jamais l'avoir lu, je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre.
Je pensais sûrement lire un témoignage bouleversant et plaintif, mais en réalité pas du tout ! Hormis le contexte évidemment regrettable dans lequel il a été rédigé, cela reste un journal intime classique d'une jeune adolescente. Anne nous raconte sa vie avant l'Annexe, puis le quotidien dans ce repaire clandestin. Elle nous parle de tout sans filtre, nous fait part de tout ce qui lui passe par la tête, ses pensées, ses émotions (le but d'un journal intime me direz-vous). On en apprend sur ses copines d'école, ses cours, ses prétendants, sa relation houleuse avec sa mère, au contraire plutôt complice avec son père, ses petits conflits avec sa sœur aînée Margot... Contre toute attente, elle aborde également le sujet des relations sexuelles, ce domaine qui commence à l'intriguer et dont elle ne sait quasiment rien, la plupart des parents n'en parlant absolument pas avec leurs enfants à l'époque. En bref, des préoccupations classiques pour une adolescente.
Je ne sais pas si c'est l'époque, le contexte de guerre ou simplement la personnalité d'Anne, mais je me suis retrouvée face à une jeune fille de 13-14 ans d'une certaine maturité pour son âge. Cela transparaît rien que dans sa manière d'écrire et dans la qualité de son expression écrite.
Comme Anne a tenu son journal depuis le début de leur vie clandestine, on se rend compte, plus on avance dans la lecture, à quel point la situation devient de plus en plus pesante, comment le moral en pâtit progressivement et comment l'humeur et la santé mentale des occupants de l'Annexe en prennent un coup : plus le temps passe et plus on sent que tout le monde est sur les nerfs, à fleur de peau, à bout, les relations entre les deux familles sont souvent houleuses. Heureusement, Anne arrive à trouver du positif dans chaque chose et nous en fait bien sûr immédiatement part dans son journal intime. Je l'ai trouvée très touchante quand elle nous parle de choses personnelles ou intimes, touchante par sa manière de s'émerveiller d'un rien, d'être heureuse simplement en voyant le ciel bleu, en entendant les oiseaux chanter, de saisir le moindre instant de gaîté et de trouver des petits moments de bonheur simple dans cette situation incertaine et angoissante.
"Nombreux sont ceux qui admirent la beauté de la nature, qui dorment parfois à la belle étoile, qui dans les prisons ou les hôpitaux attendent avec impatience le jour où ils pourront profiter à nouveau de la nature en toute liberté, mais peu de personnes se sentent avec toute leur nostalgie aussi coupées et isolées de ce qui est également offert au pauvre ou au riche."
Je disais au début de cette chronique que ce Journal n'était pas un témoignage pathétique (au sens premier du terme). Comme le dit Anne elle-même, ils ne sont pas à plaindre ; ils sont en vie, contrairement à beaucoup de leurs frères juifs qui se font arrêter chaque jour et conduits vers un funeste destin, ils ont à manger, ils ont des protecteurs qui veillent sur eux, leur rendent visite pour les distraire et leurs apportent nourriture, vêtements, livres et autres pour que la vie soit moins pénible dans cette cachette.
Ce qui m'a touchée au contraire, c'est qu'Anne nous raconte avec détachement les conditions de vie à l'Annexe, souvent contraignantes, peu ragoûtantes et au-delà de la dignité humaine dû à la grande promiscuité imposée par la situation. D'après mon ressenti, c'est ce genre de passages, dits avec simplicité mais qui nous font pleinement prendre conscience de l'horreur de certaines contraintes, qui a le plus d'impact.
Ce qui m'a beaucoup émue aussi, c'est lorsque Anne se demande à de nombreuses reprises si un jour son journal sera lu par ne serait-ce qu'une personne et si quelqu'un pourrait trouver un minimum d'intérêt dans ce que raconte une adolescente.
J'ai également trouvé assez perturbant à certains moments de lire ce Journal, de rire du caractère bien trempé d'Anne et de certaines mésaventures comiques qui se déroulent à l'Annexe, puis de soudain revenir à la réalité et se rappeler comment tout ceci a fini, comment la vie de cette jeune fille s'est terminée. Cette jeune fille qui a l'heure où elle écrivait ses lignes qui nous parviennent encore aujourd'hui, ne se doutait pas de ce qui l'attendait...
Pour conclure, j'ai lu de nombreuses critiques déplorant par exemple l'immaturité d'Anne Frank, rendant leur lecture un peu désagréable, et le manque d'intérêt dans ses récits de la vie à l'Annexe. Au contraire, j'ai trouvé personnellement qu'Anne faisait preuve d'une certaine lucidité sur leur situation et sur la vie en général au vu de son âge. Il est très difficile de juger ce livre ; celui-ci a été écrit spontanément sans vocation particulière à être lu plus tard, c'est le journal intime d'une adolescente vivant recluse ; évidemment que chaque jour n'a pas forcément son lot de péripéties. Certains seront touchés par son récit, d'autres moins (sans pour autant nier la gravité de l'histoire, bien sûr). Ce livre est et reste avant tout un témoignage unique d'une jeune fille juive nous racontant sa vie dans la clandestinité avec sa famille pour échapper aux courroux nazi durant la Seconde Guerre Mondiale. Aussi je le recommande au plus grand nombre, adolescents comme adultes.
"Je me demande sans cesse s'il n'aurait pas mieux valu pour nous que nous ne nous cachions pas, que nous soyons morts aujourd'hui pour ne pas avoir à supporter toute cette misère et surtout pour épargner les autres. Mais cette idée nous fait tous trembler, nous aimons encore la vie, nous gardons encore espoir, espoir pour tout. Pourvu qu'il se passe vite quelque chose, au besoin même des tirs, cela ne peut pas nous briser davantage que cette inquiétude, pourvu que la fin arrive, même si elle est dure, au moins nous saurons si nous allons enfin gagner ou bien périr."
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