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Photo du rédacteurSolène

"Prière pour les voyageurs" : seule face au désert

Bonsoir les chatons !

On se retrouve (enfin) pour la critique du tout premier livre que j’ai lu au mois de janvier : Prière pour les voyageurs, de l’autrice américaine Ruchika Tomar et traduit de l’anglais (US) par Christine Barbaste, parue aux éditions La Croisée début janvier.


Le premier livre lu de cette nouvelle année, donc. Et quel livre ! Puisque, sans faire plus durer le suspens, je le place directement dans la liste de mes coups de cœur ! L’année 2022 démarre fort ! 😄

Je vous explique tout de suite pourquoi, mais avant tout, petit résumé de l’intrigue.


(Désolée, je n'ai ramené aucun souvenir du Nevada !)

Pomoc, petite bourgade perdue dans les vastes étendues désertiques de l’état du Nevada, aux États-Unis. Cale, une jeune fille de dix-huit ans, narratrice du roman, est serveuse dans un authentique diner. Cale se lit progressivement d’amitié avec Penny, une autre serveuse du diner, et LA fille populaire du lycée lors de leurs années d’école. Mais le jour où Penny disparaît sans laisser de traces ni d’explications, personne d’autre à part Cale ne semble s’en soucier ni même trouver cela inquiétant. Ne pouvant compter que sur elle, Cale va se lancer seule à la recherche de son amie perdue, dans l’immensité aride et poussiéreuse. Mais les chances de survie d’une jeune fille sont très maigres dans ce milieu hostile, où les hommes sont tout aussi impitoyables que le désert, et aussi venimeux que des serpents à sonnettes.


 

Premièrement, avant même d’ouvrir le livre, j’ai été immédiatement séduite par la magnifique couverture de l’édition française de La Croisée. Deuxièmement, j’ai beaucoup accroché avec l’histoire proposée en quatrième de couverture et le décor dans lequel celle-ci se déroule. J’adore l’ouest américain ! J’étais donc particulièrement emballée en commençant ma lecture.


Ce qui frappe en premier, c’est que les chapitres ne sont pas dans l’ordre. Le numéro au début de chacun d’eux nous indique où nous nous situons dans l’histoire. J’ai beaucoup apprécié ce genre puzzle à assembler au fil des pages, pour voir tous les éléments de « l’enquête » se dérouler et se mettre progressivement dans l’ordre.

Les chapitres sont d’ailleurs très courts et distillent de petits indices. Cela fait de ce livre un page turner extrêmement prenant. On n’a pas envie de s’arrêter dans notre élan, on a terriblement envie de continuer à lire encore et encore pour en découvrir un peu plus. Comme je l’ai dit précédemment, les chapitres sont dans le désordre, plusieurs temporalités cohabitent et finissent par se rencontrer, mais cela n’est pas gênant pour la compréhension. Il faut de temps en temps revenir un peu en arrière pour se souvenir du numéro de chapitre qu’on a lu quelques pages plus tôt, mais j’ai trouvé ce petit exercice de reconstitution très plaisant.

Dès la première page, ce qui m’a marquée aussi, c’est le style de l’autrice qui fait mouche et ne nous ménage pas. On plonge directement dans le vif du sujet, il n’y a aucun temps mort, aucune lenteur, tout est parfaitement calibré. La plume de Ruchika Tomar est très plaisante à lire, vive et fluide. L’autrice est diplômée de littérature, et ça se voit ! Chaque phrase laisse transparaître une grande aisance et maîtrise de l’écriture, le vocabulaire est d’une richesse incroyable. C’est un vrai régal à lire ! J’en profite pour saluer le remarquable travail de traduction de Christine Barbaste, qui a su conserver avec brio la singularité de l’écriture de Ruchika Tomar (j’ai pu lire quelques passages en anglais) et donner merveilleusement vie à cette fresque envoûtante et fascinante en langue française.


 

J’aime les livres qui ont une véritable identité, un univers entier à eux, qui posent le décor, qui nous happent à peine la première page lue. Je suis une lectrice qui juge principalement un livre à sa capacité à m’entraîner dans son monde, si celui-ci est suffisamment bien dépeint, qu’il soit réaliste ou fictif. J’apprécie vraiment un livre si j’arrive à me projeter dedans. Pour moi, l’immersion pendant la lecture est quelque chose de très important. Un livre qui ne m’emporte pas aura peu de chances de trouver grâce à mes yeux.


Bien, vous l’aurez compris, ce fut tout à fait le cas avec Prière pour les voyageurs. Le décor est impeccablement planté au travers des différentes descriptions. De nombreux noms de plantes et fleurs du désert sont cités (bon, honnêtement, je n’en connaissais qu’un ou deux) et nous permettent à nous lecteurs d’imaginer ce cadre de manière encore plus réelle et authentique. On s’y croit réellement !


Outre le décor particulièrement bien posé, l’atmosphère de ce roman est également très travaillée. Il s’en dégage à chaque page une tension sous-jacente lourde et palpable, maîtrisée du début à la fin du livre. Chaque situation, chaque rencontre dans ce désert, même a priori anodine, met mal à l’aise et semble dissimuler un danger, comme un serpent à sonnettes tapi sous une pierre et prêt à bondir.

Au fur et à mesure de ma lecture, j’ai mesuré pleinement l’étendue de la dureté et de la sécheresse (au sens propre comme au figuré) de cette vie dans le désert telle que décrite par l’autrice, où l’innocence n’a pas sa place et où celle-ci finit très rapidement par s’envoler. J’ai ressenti beaucoup de peine pour l’héroïne et de manière générale pour les jeunes filles de ce roman (et les jeunes fille du monde réel) qui grandissent dans ces trous perdus, en songeant à tout ce qu’elle doivent vivre et par quoi elles doivent passer.

D’un point de vue personnel, j’ai fait un road trip en voiture à travers l’Arizona, le Nevada et la Californie en 2019 (le sujet d’un prochain article ‘Voyages’). En lisant ce livre, j'ai repensé à mon ressenti face au paysage en traversant cet état, à quel point il était très sec et poussiéreux, beaucoup plus que l'Arizona, et aussi beaucoup plus désertique et désolé. Je pense que cela m'a aussi beaucoup aidée à m'immerger pleinement dans le roman ; je visualisais très bien à quoi l'environnement des personnages pouvait ressembler. Je n’ai pu m’empêcher de revoir défiler dans ma tête les images de ce voyage, des moments où ma route m’amenait à traverser des coins isolés de tout et déserts, où croiser une forme de vie humaine semblait improbable, et d’y voir une caravane poussiéreuse avec une boîte au lettre au bord de la route au milieu de nulle part, un mobile home crasseux à l’air abandonné, de vieux pneus usés et un bazar hétéroclite et sale traînant dans l’allée… Et d’imaginer la vie des gens qui vivaient là, dans une apparente misère, au milieu de paysages désertiques sublimes.

Dans des bourgades moins miteuses à l’air paisible, je fantasmais le quotidien des habitants, rêvassant sur ce que pouvais être la vie dans un endroit où il fait presque toujours beau et chaud, sans me douter qu’une réalité plus sordide pouvait se cacher derrière ces décors magnifiques.


 

- Tu penses qu'il existe des gens qui ne sont pas censés faire ceci ou cela ? - Non. Il y a juste des gens qui ont peur, et d'autres pas.

 

À présent que je vous ai dressé le portrait élogieux de Prière pour les voyageurs, il est maintenant temps pour moi d’aborder avec vous les points un peu plus négatifs de l’œuvre.


L’un des points que j’appelle « neutre », car n’ayant pas entaché mon plaisir de lecture, vient de la narratrice et héroïne principale elle-même, Cale. Je ne l’ai pas trouvée antipathique du tout, mais avec du recul, il m’est difficile de dire que je l’ai vraiment appréciée. J’ai éprouvé de la peine pour elle à certains moments, certes, mais paradoxalement, elle m’a semblé aussi très détachée, très extérieure, « au-dessus », de ce qui se passait, et pourtant elle s’investit corps et âme dans ses recherches pour retrouver Penny. C’est cette difficulté à réellement cerner son caractère et sa personnalité qui m’ont empêchée de l’apprécier pleinement.


Ensuite, deux petites choses m’ont chiffonnée, ne provenant pas du roman en lui-même mais plutôt de l’édition.

La première, c’est la non-transposition des classes scolaires américaines dans notre équivalent français, que j’ai trouvé dommage. Sans pour autant exiger qu’elles aient été traduites dans le texte (pensée pour nos amis belges et suisses francophones qui ont des systèmes de classes différents du nôtre), j’aurais apprécié une note de traduction en bas de page pour donner l’équivalent français. Par exemple, la huitième, personnellement, ça ne me parle pas. Comme j’étais confrontée à un grade scolaire inconnu, je suis restée perplexe, il m’a été impossible de me projeter à ce moment. Cela m’a même un peu sortie de l’univers du livre pendant un instant. (NB. La huitième aux États-Unis correspond du coup à notre quatrième en France.)

La seconde, c’est la présence assez fréquente de petites coquilles d’orthographe et autres erreurs de relecture. J’ai constaté quelques fois l’absence d’un mot, oublié, en plein milieu d’une phrase, de deux mots qui étaient même inversés (et ce n’était pas un effet de style), etc.


Enfin, mon plus gros point noir, c’est la fin du roman. Rassurez-vous, je ne vais divulguer aucun élément ! J’ai trouvé le dénouement trop évasif et vague à mon goût, et je suis restée sur ma faim. La dernière partie m’a semblé précipitée en comparaison avec le reste du roman qui était très travaillé, et de ce fait un peu décevante. J’ai refermée ce livre avec beaucoup de questions encore en suspens (et je déteste ça ! 😆)

Cependant, j’ai choisi de considérer cette fin quelque peu ouverte comme un choix délibéré de l’autrice que je peux comprendre, dans le but de laisser le lecteur dans le doute jusqu’au bout et ainsi ne pas terminer son livre (sur lequel plane une aura assez mystérieuse, avouons-le) sur une résolution trop carrée et catégorique qui casserait le charme envoûtant de cette aventure. Et peut-être qu’avec une deuxième lecture plus tard, tout me paraîtra clair.


 

Puisqu’il faut conclure, je dirais qu’avec ce livre, j’ai véritablement voyagé, j’ai cheminé avec Cale à travers le désert du Nevada du début à la fin sans jamais lâcher ni décrocher. J’ai lu plus de la moitié du livre en une soirée (étant donné ses 400 pages, c’est dire !) car j’ai été happée par cet univers ensorcelant et l’énigme Penny que je voulais à tout prix résoudre.

Il s’agit là du premier livre de Ruchika Tomar, et je dois dire que celle-ci n’a absolument rien à envier à des auteurs plus aguerris. Pour un premier ouvrage, il était osé de disposer les chapitres dans un désordre savamment organisé afin de permettre au lecteur de reconstituer le fil des événements passés et futurs sans que le résultat soit décousu et brouillon. Heureusement, l’intrigue est très bien ficelée et le pari complètement tenu. De même, pour un premier roman, je l’ai trouvé très mûr et abouti dans l’écriture et les thèmes abordés. Et malgré ma déception de la fin, celle-ci n’aura pas réussi à entacher mon expérience de lecture globale, qui fut excellente, et qui place Prière pour les voyageurs directement dans mes coups de cœur.



Solène


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